En biologie on fait pas de la classification au feeling! Bon ok, on l'a fait pendant un certain temps. Mais Aujourd'hui ce n'est plus le cas. Pour classer des organismes il faut les caractériser. On caractérise un groupe par la présence d'un caractère. Ça parait évident mais vous verrez que c'est subtile. Alors, première question, par quoi caractérise t-on les invertébrés? "Ben par l'absence de vertèbre". Ha mais non! L'absence de vertèbres n'est pas une caractéristique mais une absence de caractéristique! Et je vous ferait remarquer que l'ordinateur (ou le téléphone pour ceux qui sont plus "hight tech") que vous regardez en ce moment même n'a pas de vertèbres! C'est donc un invertébré! Or il y a plus de raison de classer l'abeille avec les mammifères plutôt qu'avec les ordinateurs (ou les I-phone). Comme quoi quand on définit quelque chose par ce qu'il n'a pas on créé des classes très bizarres. "Ha mais oui, répondrez vous, mais un invertébré c'est un animal or les objets informatiques n'en sont pas!". Oui mais au sein des animaux les invertébrés n'ont pas plus de sens: l'ascidie est par exemple plus proche des vertébrés que des éponges. Il n'y a donc pas de raison de les mettre ensemble.

Admettons que vous acceptiez alors ce que je vous raconte, vous me direz alors "ha oui mais les poissons? c'est pas définit négativement! c'est définit par la présence de nageoires!". En fait le raisonnement est exactement le même, même si ça paraît plus subtil. Lorsqu'on observe les nageoires des poissons, on constate que certaines sont plus proches des membres de tétrapodes (vertébrés terrestres) comme la nageoire du c½lacanthe. En fait, les membres des vertébrés terrestres (parlons de pattes) sont des nageoires très modifiées. Et que ce passe t'il si on parle de nageoires en opposition à la patte? Et bien on construit une classe nageoire à laquelle on exclus la patte parce qu'elle est trop modifiée. Les poissons sont donc des vertébrés auxquels on retire le groupe des vertébrés terrestres parce-que les vertébrés terrestres seraient trop différents (au nom de quoi?). Donc les poissons ne sont pas mieux définit que les invertébrés. La nageoire est donc un état dit primitif (ou plésiomorphe) et la patte est un état dérivé (ou apomorphe). Les poissons sont un groupe paraphylétique car définit sur un caractère primitif: ce sont des vertébrés à nageoires, ce qui équivaut à dire que ce sont des vertébrés sans membres chiridiens. Les tétrapodes (ou vértébrés terrestres) sont définis par un caractère dérivé ils représentent donc un groupe monophylétique, un bon groupe en biologie.

Oui bon, c'est de la classification tout ça, et la biologie là dedans? Ben c'est facile à remplacer! La théorie de l'évolution, classiquement formulée, considère que les caractères partagés des organismes sont hérités d'un ancêtre commun. Imaginons que l'espèce humaine perdure et se diversifie (ce dont on peut douter, c'est un exemple purement théorique) peut-on imaginer qu'un jour les descendants des humains ne soient pas des mammifères? Évidement que non! Un organisme, aussi dérivé soit-il doit rester dans son groupe. Mais alors, si ses caractères changent trop? Et bien ce n'est pas une raison de changer l'organisme de classe. En fait les tétrapodes ont toujours des nageoires mais sous la forme de pattes! Un groupe monophylétique c'est donc un groupe définit sur un caractère dérivé propre: un caractère hérité d'un ancêtre commun! Et donc le mystère de cette classification c'est l'évolution! (Qui n'est plus vraiment un mystère, même s'il y a encore du boulot là dedans).
Il y a un autre probleme encore, le probleme des caractères qui se perdent. Par exemple les serpents n'ont plus de pattes. Et bien? On l'a dit, ils ne peuvent pas sortir de leur groupe, ça reste des tétrapodes. Oui mais, à partir de quoi peut-on le dire? Et bien les serpents ont des caractéristiques d'amniotes, de diapsides, de squamates (lézards), or tous ces groupes sont inclus dans les tétrapodes! Les serpents sont donc des tétrapodes quand même. Comprenez bien qu'en fait pour faire une classification il faut comparer les caractères: c'est la méthode cladistique. Rajoutons pour interpréter ça qu'on peut toujours considérer, évolutivement, que les serpents ont toujours des pattes. Mais tellement petites (et donc dérivées) qu'on ne les vois plus. D'ailleurs certains serpents ont des vestiges de pattes et on a des fossiles de serpents à pattes, ce dont on s'attendait fortement à trouver.

Ha et encore un soucis: certains caractères apparaissent plusieurs fois dans l'évolution comme par exemple le panache des phoronidiens et des sabelles ou l'aile des oiseaux et des chauves souris. On peut regarder ces deux types d'ailes et montrer qu'elles sont très différentes: l'une est recouverte de plumes, l'autre d'une membrane de peau. l'une est soutenue par l'ensemble de la patte (oiseaux), l'autre par la main (chauves souris). Mais parfois même à l'½il on ne fait pas la différence. Et bien comme avec les serpents, c'est en comparant avec les autres caractères qu'on va pouvoir décider! Ces caractères qui apparaissent plusieurs fois indépendamment dans l'évolution sont appelés convergences. L'ancêtre des chauve-souris et des oiseaux n'avait pas d'ailes. On ne doit donc pas les regrouper dans une même classe. Faire ça revient à faire un groupe polyphylétique.

Au final, en respectant tout ça on a fait une classification phylogénétique, c'est à dire une classification évolutive. Mais attention, ce n'est pas une généalogie! On cherche bien "qui est plus proche de qui" et surtout pas "qui descend de qui" (au grand jamais pauvres fous!), même avec les fossiles! Une classification phylogénétique est donc basée sur des groupes monophylétiques seulement, c'est à dire des groupes soutenus par au moins une synapomorphie (ou caractère dérivé ou caractère partagé propre): des groupes comprenant un ancêtre et tous ses descendants. Les groupes paraphylétiques comme les poissons? A la poubelle! Et c'est sans appel! Les groupes polyphylétiques? Pareil, tout ce qu'on veut ce sont des groupes MONOPHYLETIQUES!
Ha évidement on peut aussi utiliser l'ADN pour faire des classifications, mais tout ça reste bien moins accessible à l'intuition mais voici une conférence intéressante tenue au collège de France qui parle méthodes probabilistes et aussi un peu de cladistique: Nicolas Galtier : Molécules et morphologie n°1 : Les méthodes probabilistes en phylogénie moléculaire : fondements, usages et controverses.
Je m'insurge juste contre la conclusion, pour ceux qui ont suivit jusqu'au bout et bien compris: faire de la phylogénie n'est pas forcément faire de la cladistique...
Et voici encore plein d'autres liens (oui, c'est un domaine très vaste, pour vous illustrer à quel point, c'est le sujet de mes études...):
Article wikipédia sur la cladistique pour ceux qui ont pas peur des mots barbares: Cladistique.
Artcicle wikipédia sur la phylogénie: Phylogénie.
Article de M.Collin: La classification phylogénétique en résumé.
Un article que j'ai écrit sur le blog de Darwinapolis: Termes Abusifs en Evolution !
Vidéos sur le site du cnrs, certaines de ces vidéos reprennent des concepts que j'ai expliqué: EVOLUTION, DES CLES POUR COMPRENDRE.
Visiteur, Posté le mardi 01 mai 2018 12:23
ok